La bibliothèque de l’Alcazar a récemment consacré au célèbre éditeur d’origine marseillaise une exposition mettant en lumière son œuvre et son héritage. La maison d’édition Robert Laffont est en effet aujourd’hui devenue une filiale du groupe Editis rassemblant 4 maisons : Robert Laffont, NiL, Julliard et Seghers… Mais il y eut un début et un parcours, à bien des égards instructifs.
Robert Laffont, un éditeur marseillais devenu parisien ?
Lorsqu’il décide de publier des livres en 1941, Robert Laffont a 23 ans. ll évolue alors dans un Marseille où sont venus se réfugier (en zone libre administrée par le régime de Vichy) des intellectuels et des artistes parisiens et étrangers. Les premiers bureaux des éditions Robert Laffont sont situés au 19, rue Venture. Un article dans le journal Le Petit Marseillais le fait connaître et dès lors des écrivains de la zone libre viennent le trouver. Tout a donc bien démarré à Marseille. Mais dès 1944 l’éditeur gagne Paris pour établir son activité de publication de livres. Dans la France de l’époque, l’édition était parisienne, sinon rien. Cependant, Robert Laffont demeura un personnage un peu atypique dans le paysage littéraire parisien. Il refusa notamment de jouer le jeu des prix littéraires. Dans son autobiographie Une si longue quête, il déclare : « Le “milieu parisien” ne m’a pas empêché de m’imposer auprès du public au fil des ans, c’est ma victoire1. »
Quand publier des livres était un métier d’hommes
Robert Laffont est issu d’une famille catholique conservatrice. Ayant grandi dans les beaux quartiers marseillais, il dit de lui-même : « Moi qui aimais la diversité et qui n’avais pas été préparé à la suivre2. », ou encore : « dans mon milieu bourgeois, on était frileux, fermés à tout ce qui commençait à fermenter dans le pays pour donner bientôt une pensée nouvelle3. » Pourtant l’homme est avenant, ouvert, curieux des autres et de l’ailleurs, ce qui le poussera à publier de la littérature étrangère. Mais si l’on se penche sur sa biographie, on observe que les auteurs (Bénouville, Toursky , Henri Charrière…), les directeurs de collection (Armand Pierhal, Guy Schoeller, Gérard Klein…) et les collègues éditeurs (René Julliard, les frères Gallimard…) qui l’entourèrent furent exclusivement des hommes. Force est de constater qu’au XXe siècle éditer des livres était un métier d’hommes. Par ailleurs, sachant s’entourer de collaborateurs talentueux, il conserva cependant toujours le privilège de la décision de publication. Un positionnement que certains ont pu qualifier de « paternaliste4 ».
De quoi le logo du dauphin est-il le symbole ?
Pour donner plus d’autorité à sa maison d’édition, Robert Laffont lui a donné son propre nom. Mais il aurait aimé l’appeler Les Éditions du Dauphin, en référence à la légende d’Arion, le poète grec jeté à la mer par des marins jaloux et récupéré par un dauphin charmé par ses chants et sa lyre.
Les collections : sa marque de fabrique
À propos de cette particularité, Robert Laffont explique : « À mesure que les auteurs se multipliaient chez moi, la création de collections à thèmes me permettait d’organiser la diversité que j’aimais. Souvent, un livre à grand succès inaugurait la collection et en devenait la locomotive. » Dans la première collection qu’il créa, « Sous le signe d’Arion », l’éditeur publia de la poésie. 120 autres collections suivirent. Poussé par son désir d’ouverture au monde, il confia notamment à Jacques Peuchmaurd les rênes de la fameuse collection « Pavillons », consacrée à la littérature étrangère (qui accueillit notamment Dino Buzzati, Graham Greene, Salinger…), et à Gérard Klein ceux de la collection de science fiction « Ailleurs et demain » (où furent publiés Franck Herbert, Philip K. Dick…). Des domaines littéraires jugés difficiles à l’époque (années 60), qui le démarquèrent de ses concurrents. « L’École de Brive » était quant à elle consacrée à la littérature du terroir, et « Bouquins », lancée à grands frais par Guy Schoeller en 1979, devint la collection d’anthologies à succès que l’on connaît.
Robert Laffont, pionnier de la littérature du réel
Mais la vraie originalité de la maison d’édition a été de publier avant l’heure de la narrative non fiction (ou journalisme narratif) inspirée de ce qui se faisait aux États-Unis. Le goût personnel de l’éditeur pour l’histoire et le journalisme l’ont poussé à dépasser le champ de l’édition littéraire et à publier ce qu’il appelait « des livres ouverts sur la vie ». Dans la collection « Ce jour-là », lancée en 1958, on publia des livres faisant le récit de grands événements historiques, tel que le fameux Paris brûle-t-il ? de Dominique Lapierre et Larry Collins sur la Libération de Paris en 1945. Dans la collection « Vécu », codirigée par Charles Ronsac et lancée en 1969 grâce au best-seller Papillon d’Henri Charrière (y racontant son expérience de bagnard en Guyane), on trouvait des témoignages et des expériences de vies exceptionnelles.
Passé et présent de La chaîne du livre
Avec l’apparition des ebooks et de l’impression à la demande, l’édition a connu bien des bouleversements ces dernières années. Il est d’autant plus utile de s’intéresser à l’histoire du livre et de se tourner vers le passé pour connaître les cheminements individuels et collectifs qui ont précédé les nouvelles manières de publier des textes. C’est précisément ce que permettait cette belle exposition.
- LAFFONT, Robert , Une Si Longue Quête, Anne Carrière, 2005, p. 106.
- Ibid., p. 62.
- Ibid., p. 56.
- DOSSE, François, Les Hommes de l’ombre, Perrin, 2014.